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Samuel ou la temporalité de la
création
Aujourd’hui. La pluie ne cessait pas de tomber au-dehors, et les gouttes d’eau recouvraient peu à peu en cascade la surface transparente de la vitre glaciale. |
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Samuel. Il regardait au-dehors par la fenêtre, et plus la pluie tombait, moins il distinguait la rue, les immeubles et les hommes à travers le vitrage. Il fermait alors les yeux pour mieux regarder. Revoir et revivre sa vie par la pensée, redécouvrir la temporalité de son existence, c’est tout ce qui lui restait. |
Dieu les avait déporté dans ces
cachots, lui et tous les autres, pour leur montrer la beauté des
choses qu’il avait à offrir.
Il regardait tout autour de lui. Pas de meuble, pas de table, pas de chaise, pas de télé (phone ou vision)… la pièce unique, qui remplissait à elle seule la rôle d’appartement, se définissait par ce qu’elle n’avait pas. Rien, pas même la vie, ne peuplait ce rectangle fermé sur lui-même, dénué de la moindre issue communicante. Rien, sinon Samuel, qui ne vivait pas / qui ne vivait plus, évoluant entre ces quatre murs, ce plancher et ce plafond, cette fenêtre ruisselante de pluie et cette porte, qui parfois s’ouvrait sur le monde, mais peu de temps, juste pour répondre aux besoins de survie de Samuel. Nulle part où dormir, nulle part où s’asseoir, sinon sur le sol, où des centaines de feuilles de papier, vierges ou raturées, lisses ou froissées, blanches ou jaunies par le temps, s’étalaient dans un désordre constant. Et quand bien même il aurait vécu autrement, comme avant peut-être, où cela aurait-il bien pu le mener ? Demain. Il n’y pensait même pas. Ou plutôt il n’y pensait plus, depuis que… Il ne regardait même plus sa montre, qui depuis le temps s’était d’ailleurs arrêtée. Il se donnait ainsi l’illusion de n’être plus inscrit dans le temps, de ne plus exister dans l’Histoire des hommes, et de ne plus vieillir. A son poignet, qu’il ne regardait plus, les aiguilles de la montre s’étaient arrêtées sur le douze, moment de tous les possibles, temps en suspens entre le hier et le demain. Le hasard avait voulu que le temps de sa montre s’arrête sur le temporalité zéro, dans un moment intermédiaire et incertain, un espace de temps figé, où Samuel s’était justement arrêté lui-même. Et pour combien de temps ? Comme si le temps existait encore, pour se rassurer. Le temps. Il n’y en avait plus entre ces quatre murs. Samuel l’avait fui et avait décidé de l’oublier. Faire comme s’il n’existait plus, pour qu’il n’existe plus. Pour qu’il n’y ait plus de demain. Samuel avait franchi les barrières du temps, et ainsi aboli l’espace de sa temporalité. Il avait vaincu l’ordre des temps, et demain pour lui n’existait plus. Il s’enfermait dans le présent, comme entre ces quatre murs, pour mieux retourner vers le passé, le véritable comme celui de la mémoire, le pur passé qu’il croyait recréer par l’imaginaire. S’enfermer entre les murs du présent, dans cette pièce sombre et triste, vide de matière, mais riche de sens et de souvenirs. Il ne vivait plus – plus dans le temps des hommes en tout cas. Il ne vivait plus, sinon dans les figures rassurantes de son intériorité, dans sa vérité ou dans sa fiction, mais jamais dans son mensonge. Il ne voulait plus entendre parler de vie, depuis qu’il était mort. Hier. C’est là qu’il était
mort. C’est là que tout avait fini. Comme la fin d’une vie, ou la
fin d’une histoire.
Aujourd’hui. Comme un dieu, il recréait
le monde. Il était désormais seul, mais nombreux. Et pour
lui c’était l’essentiel.
(Mars 1999)
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